mardi 12 novembre 2013

Le système Mareschal : redoutes, tours et signaux

Les projets et constructions défensives mises en place par Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778) trouvent une cohérence et une homogénéité dans leur ensemble car, de par leur nature et leur étendue, ils prospèrent sur toute la côte du littoral méditerranéen. L’historien Didier Catarina indique qu’à partir de 1743, la côte de Languedoc va se garnir de douze signaux, trois redoutes, et une batterie fluviale. En ce qui concerne le Languedoc, la défense côtière s’avère différente de celles de ses voisins, le Roussillon et la Provence, par la seule nature de leurs sols et littoraux. Les quatre caps, avancés sur la mer Méditerranée, toujours de l’Ouest à l’Est sont : le cap de Leucate, le cap Romarin, le cap Saint-Pierre et le cap d’Agde. 
La guerre de Sept ans a montré les faiblesses des côtes françaises. Elle a invité le royaume de France a renforcer sa marine et particulièrement la défense de côtes. Les anglais débarquèrent sur les côtes de Bretagne en baie de Cancale en juin 1758. Suite à cela, en novembre 1758, le maréchal de France Charles O’Brien de Thomond (1699-1761), commandant en chef du Languedoc, eut en charge l’inspection des cinq capitaineries de Languedoc. Il prévoyait de nouveaux ouvrages de défense jusqu’à sa mort à Montpellier en 1761. Trente ans auparavant, Mareschal l’avait probablement rencontré au siège de Kehl en 1733 alors qu’il se nommait Lord Clare. La même année 1758, le nouveau secrétaire d’Etat à la guerre, le maréchal Charles-Louis-Auguste Fouquet duc de Belle-Isle décide de renforcer plus encore l’ensemble du dispositif côtier du royaume déjà réfectionné depuis l’arrivée de Mareschal en 1739 en Languedoc.

A partir de 1760, des postes de surveillance sont définis et des fournitures alimentent régulièrement les signaux de la côte. Ayant examiné régulièrement les places fortes de Languedoc durant près de 35 ans, l’ingénieur peut ainsi réaliser l’ Atlas des places de Languedoc daté du 1er août 1775 . Il introduit un historique de chaque place forte et donne des descriptions de la côte et des ouvrages pour sa défense pendant la guerre de 1756 ainsi que des lavis correspondant à chaque mémoire. Les trois forts Richelieu, Saint-Pierre et Saint-Louis, à Sète, constituant, au Siècle des Lumières, l’ensemble défensif de la ville, sont indissociables de la sérénité commerciale du port de Sète. Ils appartenaient au département de Sète. Ces trois forts sont détaillés dans l’Atlas des places fortes de Languedoc de 1775 de Jacques-Philippe Mareschal. Ces trois mêmes forts s’intégraient au système Mareschal.
La troisième phase du projet Mareschal prend alors corps grâce à de Thomond. Les états de Languedoc votent quarante mille livres pour ces constructions. Malgré leur réticence à assurer ce financement, Mareschal soutenu par des hommes influents peut finaliser son dessein. Le système de défense est maintenant cohérent. Amendant ses projets quand il en reconnait les insuffisances ou les inconvénients, Mareschal fait avancer les travaux au mieux des possibilités de la province de Languedoc. Il fut soutenu avec vigueur par le marquis d’Asfeld, et par le secrétaire d’état à la guerre, Comte d’Argenson.

Recenser, répertorier et analyser ses mémoires et ses plans, permet de mettre en évidence la conception d’un système cohérent de défense tant au niveau architectural que militaire. Au cabinet et sur le terrain Jacques-Philippe Mareschal a défendu les intérêts de sa province d’adoption. Avec ce système réalisé sur une vingtaine d’années, avec bon sens et expérience, il a su tirer tous les avantages de la situation au gré des financements et des guerres. La multiplication des ouvrages fortifiés, modifiant sensiblement le paysage côtier, dota le littoral méditerranéen d’un élément d’identité commun. Son ambition était donc de doter la province de postes fixes. Tel un circuit devant former un espace infranchissable, la ligne de défense entreprise par Mareschal avait pour objet de bloquer l’ennemi. Mareschal énonçait un système à trois objectifs : garder, protéger, surveiller. Les plages devaient être imprenables : le système était basé sur une enfilade de redoutes simples, de redoutes à batteries et de tours à signal. Plus mentionné qu’analysé, le système Mareschal est toutefois présenté dans l’ouvrage Le Languedoc, le Roussillon et la mer, des origines à la fin du XXe siècle de Jean Rieucau et Gérard Cholvy. Didier Catarina, Bernard Cros, Henri Ribière ou encore l’historien Jean Sagnes ont menés préalablement des recherches, en 1992, sur la défense des côtes du Languedoc.
Après une période d’hiathus, nous avons voulu montrer par notre point de vue, l’intêret de ce sujet d’étude que caractérisent les travaux côtiers de Mareschal. Durant le 134e congrès national organisé en 2009 par le Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S) ayant pour thème « Célèbres ou obscurs, hommes et femmes dans leut territoire et leur histoire », nous avons proposé, pour la section Acteurs célébres ou obscurs de l’aménagement du territoire, un éclairage sur la mise en place du système de défense des côtes méditerranéennes. Le titre de la communication dispensée était Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778) : Une personnalité au service de l’architecture militaire en Languedoc au XVIIIe siècle.

Le projet de Mareschal a longuement mûri avant d’être définitivement mis en place. Pour toutes les sortes d’édifices dont il avait la charge, la qualité des matériaux lui importait. Les redoutes et forts qu’il a construits. et qui sont encore en élévation témoignent de leur solidité. Par exemple, la redoute du Grand-Travers montre encore à ce jour les qualités imposées par le directeur des fortifications. Après examen du projet de défense du littoral de Mareschal, trois cycles de production se dégagent en 1741, 1744 et 1758. Les deux premières années correspondent aux constructions et réalisations des édifices côtiers et la dernière année se réfère au procès qui suivit la réalisation du système. En homme d’expérience, Jacques-Philippe Mareschal propose une ligne d’ouvrages légers composée d’un ensemble d’une quinzaine de tours et forts dont l’objectif est de circonscrire la côte du Grau de la Vieille Nouvelle au Grau d’Orgon. Le golfe du lion sera de la sorte frangé de redoutes, forts qui affirmeront la puissance militaire des français face aux anglais. Si nous reprenons les termes du Maréchal de Thomond, l’ennemi est le «corsaire anglois». Comme le rappelle d’Argenson régulièrement dans ses Mémoires, au cours du XVIIIe siècle les frontières terrestres françaises étaient bien protégées, mais il n’en est pas de même pour les côtes maritimes menacées par les flottes anglaises, hostiles depuis 1688. L’ingénieur Antoine Niquet a rédigé un Mémoire sur les entreprises des ennemis aux côtes de Languedoc. Il n’était pas exagéré, de la part de Didier Catarina, d’intituler le chapitre relatifs aux grands travaux de Mareschal « Une lutte de longue haleine ».

La réalisation du projet de circonscription nommé « système Mareschal » fut très progressive à l’image de l’abandon dont elle est la victime.

Vue du signal du Grand-Travers à La Grande-Motte, Jacques-Philippe Mareschal, photographie, La Grande-Motte, 2008, cliché Caroline Millot.


Jacques-Philippe Mareschal, Plan d’une des redoutes à faire le long de la cote de Languedoc, 1741, plume lavis et encre noire, A.D. Hérault, C 816/1, 435 x 850 mm, cliché Caroline Millot.


Extrait de la thèse de Caroline Millot, Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778), ingénieur du roi et architecte au XVIIIe siècle (Volume 1), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en Histoire de l’art, CENTRE LEDOUX/INHA, EA HiCSA 4100, 2010.

A l'attention de nos lecteurs Belfortains

Je propose ici un extrait de ma thèse en histoire de l'art, à l'attention de nos lecteurs Belfortains, archivistes ou simples citoyens, sensibles au patrimoine de leur ville. En effet, Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778) a laissé son empreinte à Belfort en modelant la place d'Armes, encore en place. A la fin du XVIIe siècle, chez les ingénieurs du roi, la mode est à servir le roi et défendre le royaume de France. Dans la mémoire de tous, le nom de Vauban est celui dont on se rappelle le mieux. Pour autant, il y a des centaines d’autres ingénieurs du roi formés par et pour le corps des fortifications. Ces ingénieurs sont classés dans la section « Ecole de Vauban » que l’on dissocie des ingénieurs de l’Ecole de Mézières, formés plus tardivement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Jacques-Philippe Mareschal se rattache à cette section d’ingénieurs militaires issu de l’Ecole de Vauban. La vie Mareschal est un acte en deux pièces dont la première se déroule dans la province d’Alsace et la seconde en Languedoc.

Ce qui nous interpelle, tout d’abord dans cette recherche scientifique et historique, c’est le nombre important des documents d’archives concernant l’ingénieur militaire. L’organisation polémologique a permis de retrouver des documents historiographiques de première main. Les architectures de cet homme cultivé trouvent leur origine sur le terrain et dans les fonds d’archives militaires ou publiques qui doivent être révélées au lecteur pour une meilleure compréhension de l’ensemble étudié. En posant comme préambule que Jacques-Philippe Mareschal est un ingénieur militaire, les travaux de recherches se portèrent tout naturellement vers l’ancien Service Historique de l’Armée de Terre (S.H.A.T.) reconverti en Service Historique de la Défense (S.H.D.), à Vincennes. 

Vous me permettrez, pour dépeindre le tableau de la vie de Mareschal, un emprunt au chapitre X du Songe de Poliphile : Tant de magnificence ne peuvent que perdre à mes descriptions, veuillez donc, chers lecteurs intelligents, suppléer par tous les moyens de votre imagination, à ce qui m’est impossible de vous exprimer

La carrière de Jacques-Philippe Mareschal, étalée dans le temps, de 1707 à 1777, connaît une ascension jusqu’au point d’orgue de sa nomination de directeur des fortifications de Languedoc en 1739. Sa renommée s’est ainsi formée de son vivant. Durant près de soixante dix ans, l’ingénieur Mareschal a produit des dessins et des projets. Cette longue période d’exercice traduit une évolution du goût et de la pensée de l’ingénieur du roi. Il est peut être bon de rappeler que, lorsque Mareschal fut formé, les ingénieurs du roi s’occupaient alors essentiellement des fortifications et non des ponts et chaussées dont la construction était réservée à d’autres ingénieurs. Jacques-Philippe Mareschal a vécu au cours des règnes de Louis XIV, sous la régence et le règne de Louis XV, longue période durant laquelle le progrès de la science et les nouvelles découvertes inspiraient les grands esprits. A l’image de ses confrères ingénieurs des places fortes, il fut éduqué à la lecture des traités militaires.

Maintenant qu’est connue l’origine parisienne de Jacques-Philippe-Eléonore Mareschal, il est possible d’observer le milieu familial dans lequel il a grandi puis dans un second temps, sa descendance. Le 25 janvier 1718, à l’âge de 28 ans, Jacques-Philippe épousa une jeune femme issue d’une famille bourgeoise de Belfort : Jeanne-Claude Ferrier du Châtelet (1700-1756) âgée de 18 ans. Après son veuvage en 1756, Jacques-Philippe Mareschal ne convola pas en secondes noces. Son épouse fut enterrée à Montpellier.

C’est bien à Mareschal que l’on doit l’édification autour de la place d’armes d’une collégiale, actuelle cathédrale Saint-Christophe, d’un hôtel particulier, aujourd’hui mairie de Belfort et d’un arsenal qui conserve encore une fonction militaire. Comment l’aménagement des différents édifices belfortains allait-il être opéré par Mareschal ? Il faut imaginer qu’il a observé la cohésion de l’ordonnancement dès sa première réalisation, à savoir l’hôtel Noblat, en 1721. En effet, l’étude de l’ensemble des édifices de la Place d’Armes permit de révéler des moyens et des étapes de la construction de cette place. On souligne que Mareschal a rarement collaborer avec d’autres architectes. A Belfort, l’exemple de collaboration pour la collégiale Saint-Christophe est unique. Se plaisait-il à travailler seul ? L’examen de son œuvre atteste qu’il a travaillé indépendamment sur les projets d’édifices militaires ou civils. Les comptes de la ville conservés montrent les liens sociaux entretenus par l’administrateur de Belfort et les ingénieurs du roi en place dans la petite ville. Entretien des espaces publics ou locations de logements aux hommes des fortifications sont répertoriés dans les archives. Jacques-Philippe Mareschal était soutenu par différents dirigeants dans chaque province. A Belfort, il était largement encouragé par son ami François Noblat, subdélégué de l’intendant d’Alsace qui s’affiche comme un véritable mécène tant pour l’ingénieur que pour la ville, elle même. La place d’Armes a été conçue essentiellement par deux hommes : François Noblat et Jacques-Philippe Mareschal, comme le montrent les travaux d’Yvette Baradel.

Dans les années 1720, Jacques-Philippe Mareschal est âgé d’une trentaine d’années. Il travaille alors à Belfort ; ville déployant le second système de Vauban, qu’il connait bien pour en avoir dresser régulièrement des plans et mémoires dès 1711. Ce qui subsiste aujourd’hui de l’hôtel particulier Noblat, actuelle Mairie de Belfort, ne permet pas de voir dans son entier quelle était la distribution de l’édifice dans les moindres recoins. Cependant, grâce aux plans inédits de 1721 découverts au cours de cette recherche, l’hôtel particulier commandé par François Noblat à Mareschal, a enfin livré quelques-uns de ces mystères. Les sources consultées aux Archives Départementales du Territoire de Belfort ont, en effet, révélé un fonds constitué d’une douzaine de plans de l’hôtel datés de 1721. La série dévoile deux propositions de distribution. L’analyse des plans actuels, confrontés à ces deux propositions, permet d’affirmer que la réalisation fut un mélange des deux démonstrations d’aménagement.

 Nous avons pu constater que ces travaux d’ensemble tombèrent dans l’oubli au fil des siècles. L’heure est donc à la restauration de la mémoire de la ville de Belfort. Il a été donné à Mareschal, dès son début de carrière, de concevoir une ville neuve. Ses plans, dès 1711, montrent les espaces vacants que Vauban avaient structurés. Mareschal, grâce à la confiance de Noblat,y place des édifices dont la fonction a toute son importance pour la société : le pouvoir religieux fait écho au pouvoir royal en place qui répond lui-même au pouvoir militaire, le tout sur une même place. La ville neuve correspond à une renaissance. Ce nouveau quartier constitue alors une nouvelle ville, opposée à la vieille ville comme l’indiquent les plans que Mareschal a dessinés. Réalisant plusieurs édifices de fonctions différentes, en une dizaine d’années, Mareschal a laissé une empreinte durable à Belfort.

Jacques-Philippe Mareschal, Befort ?, 2 novembre 1716, plume lavis et encre noire, Vincennes, A.I.G. 1 VH 239, cliché Caroline Millot.

Extrait de la thèse de Caroline Millot, Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778), ingénieur du roi et architecte au XVIIIe siècle (Volume 1), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en Histoire de l’art, CENTRE LEDOUX/INHA, EA HiCSA 4100, 2010.